Le libraire de Kaboul
Asne Seierstad
Éditions JC Lattès
2003 – 369 pages
Récit
Une lecture du début de l’année 2007, pas agréable, mais enrichissante, car totalement déroutante et souvent choquante à l’aulne de nos valeurs occidentales. Une chronique toute en douceur, parfois amère, mais qui cogne comme une tonne de brique.
L’auteure est une journaliste et romancière norvégienne. Arrivée à Kaboul en novembre 2001, après la chute des talibans, elle rencontre Sultan Khan, un libraire, et se prend d’amitié pour lui. Elle lui propose de vivre avec sa famille dans le but d’écrire un livre sur la vie quotidienne en Afghanistan. Elle y passera plusieurs mois avec les épouses et les enfants de Sultan et en tirera ce bouquin plein de mille petits détails sur leur quotidien.
Sa description d’une société exclusivement patriarcale m’a déstabilisé même si elle n’était alors plus si surprenante. Elle s’y est soumise comme une fille du cru. Elle a porté la burka, sous laquelle les femmes afghanes laissent quand même éclore toute leur féminité et leur besoin de liberté. Elle a constaté l’incroyable désir d’apprendre de ces filles interdites d’école et la compétence de ces femmes bannies du marché du travail. Elle a réalisé leur état de servitude vis-à-vis de leurs père et frères. Elle a assisté aux tractations entre les familles pour le mariage de leurs enfants où les filles sont carrément vendues au plus offrant.
Tout au long du livre, on la sent très heurtée par la prédominance de l’homme qui culmine avec sa polygamie. Elle souligne explicitement l’ingéniosité de ces hommes qui sous le couvert de leur religion, à l’abri du Coran, ont trouvé la façon de prendre soin de leurs sens, car la nouvelle femme est toujours plus jeune et plus fraîche que la ou les précédentes.
Pourtant, Sultan est un être cultivé, presque érudit. Il est collectionneur et marchand de livres rares. Il connaît les grands auteurs tant occidentaux que moyen-orientaux. Il a d’ailleurs vécu moult tracasseries et arrestations sous l’occupation talibane. Toutefois, malgré l’élévation de sa vie intellectuelle, il n’en demeure pas moins, semble-t-il, un homme tout à fait représentatif de sa culture ethnique et religieuse.
Asne Seierstad a reçu de nombreuses récompenses pour son travail journalistique dans les régions déchirées par la guerre telles que Chechnya (Tchétchénie), les Balkans, l’Afghanistan et l’Irak. Elle parle couramment cinq langues et son œuvre est riche de ses divers voyages à travers le monde.
Addendum
J’ai écrit ce texte en janvier 2007 et en le révisant, avant de le mettre en ligne, j’ai constaté qu’en vertu d’une poursuite, Asne Seierstad a été condamné par la Cour d’Oslo, en juillet dernier, à verser près de 16,000 euros pour violation de la vie privée, diffamation et pratiques journalistiques négligentes envers la famille de Shah Mohammed Rais, le libraire qui inspira le personnage de Sultan Khan. C’est sa deuxième épouse, Suraia Rais, qui a lancé cette poursuite prétendant que le livre présente sa famille sous un angle mensonger et humiliant. Le tribunal lui a donné raison sous prétexte que les retranscriptions des paroles de Suraia Rais sont formulées de manière réaliste alors qu'elles ne pouvaient pas être prouvées avec précision. (http://bit.ly/nEQ9vK)
Il appert cependant que l’auteure et son éditeur interjettent appel de ce verdict dont les conséquences pourraient déborder largement ce cas d’espèce. (http://bit.ly/oeQMMa)
Pour ma part, jamais en cours de lecture ce livre ne m’est apparu comme un roman et je n’ai pas souvenir d’une information signalant que Sultan Khan ait été un pseudonyme pour Shah Mohammed Rais.
Bonne semaine, merci pour cette critique, Pascal, journaliste.
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