J’ai peine à formuler des vœux pour la nouvelle année
tant 2017 m’inquiète, et 2018, et 2019...
Car l’idée, effarante et prétentieuse,
de laisser derrière moi l’acmé d’une civilisation, dont j’aurai été l’un des
enfants choyés, s’impose à moi. Nés en ces années d’après-guerre, pleines de l’espoir
que la marche du temps nous rapprochait inéluctablement du bien et du beau, on a
beaucoup attendu de nous. On nous a ouvert grandes les portes de l’éducation et
de la culture ainsi que de nombreuses fenêtres sur le monde, mais cela a été
insuffisant.
L’esprit ne s’est pas tant élevé. Par
atavisme autant que par avidité, exacerbée par la multiplication incessante des
possibles, nous avons cédé aux tentations d’une époque fertile. L’homme ne se
mesure toujours qu’à l’aune du pouvoir, de l’argent ou de la célébrité. La
sensation tient la raison dans ses tentacules, les simulacres prennent le pas
sur les faits, les mots ne reconnaissent plus leurs sens, la liberté individuelle
et collective est davantage contrainte et le chacun cache maintenant l’ensemble. L'opinion règne sans partage, le bien-fondé n'est plus qu'accessoire et la croyance vise toujours le statut du savoir. Les médias et les
vendeurs, mine de rien, excitent les passions humaines à leur unique profit; tant,
qu’à force d’essayer d’attirer notre attention, on nous rend sourds et aveugles
ou idiots. Et, si l’esprit des lois continue de se dissiper dans
la turpitude, il finira par n’en rester qu’un tas de lettres insignifiantes. Le
néologisme post-vérité qui flotte
dans l’air ces jours-ci propose une sortie du réel impossible à appréhender, un
pas à ne pas franchir.
Au tournant de cette nouvelle année, l’Humanité a une
odeur de jungle et de poudre. Son vaisseau amiral s’abîme et peu de ses
capitaines gardent encore une aura de respectabilité, voire une légitimité
quelconque. Si le mal et le bien n’ont, de tout temps guère changé, leurs
actuels moyens d’action confinent au kidnapping des têtes, des cœurs et des
corps. Étourdi par le bruit et la lumière, obnubilé de son nombril et
pauvrement nourri, l’esprit humain est de
facto une victime consentante ou contraint autrement par la raison
d’État, la raison d’Affaires, la folie religieuse ou encore simplement
abasourdi par la drogue, légale ou non.
Sombre portrait, fruit d'une nature pessimiste sous perfusion d'un fil de presse qui amplifie quotidiennement son sentiment
d’impuissance? Je ne prétends à d'autre expertise que la culture générale d’un
lecteur boulimique et d’un cinéphage éclectique. J’observe le monde depuis
mon enfance — la crise des missiles russes installés à Cuba m’a happé
en 1962 — et je ne l’ai jamais vu si asservi, si déstructuré. L’humain est débordé. Dans notre fureur de vivre, on a étiré au maximum
tous les élastiques; là, on les entend claquer. Partout.
Alors, je vous souhaite que tout ce qui précède ne soit
qu’élucubrations débiles. Sinon, il faudra porter davantage attention à ce que
l’on nous fait pendant qu’on regarde ailleurs.
Ah oui! Bonne année... santé, amour, lucidité et toute
cette sorte de choses.