mercredi 27 avril 2011

Deux fois Poulin

Les yeux bleus de Mistassini
Jacques Poulin
2002 – 187 pages
Roman

Jack Waterman écrivain de son état est aussi un libraire insolite. Dans son échoppe du Vieux-Québec, il permet à certains clients de voler des livres afin qu’ils puissent lire malgré leur pauvreté. De là, Poulin propose une histoire d’amour, d’abord avec les livres, ensuite avec le jeune Jimmy et sa sœur Mistassini.

Waterman est atteint de la maladie d’Alzheimer, au point où il confond les personnages de ses romans avec ceux d’autres auteurs. Il sent que sa carrière de littérateur, de même que sa vie tirent à leur fin. En Jimmy, il se choisit un employé, un successeur, voire un fils spirituel, auquel il tentera de mettre le pied à l’étrier de l’écriture. Jimmy vient avec une sœur cadette, libre et bohème, avec laquelle les deux hommes entretiennent une relation ambiguë.

Waterman affiche une conception toute personnelle de son art : du bricolage. « Les romanciers ne sont pas des créateurs. Ils s’inspirent de la réalité, ils la transforment, ils ajoutent des choses vécues, des choses imaginées et même des choses empruntées ou volées. » Il affirme l’acte d’écrire aussi inconscient que narcissique : « Le travail de l’écrivain n’a rien à voir avec la communication. Au contraire, l’écriture est une activité tout à fait égocentrique, et ceux qui s’y adonnent ne s’intéressent qu’à eux-mêmes et à la satisfaction de leurs propres besoins. » En ce sens, il laisse entendre que nous sommes tous des écrivains, car, « Choisit-on de vivre la vie ou la représentation de la vie ? »

Ce bouquin baigne dans une grande sensibilité. Il est à la fois tragique, réjouissant et étrange. Tragique dans l’inexorable portrait du déclin d’un écrivain et d’un homme, réjouissant dans la filiation qui se crée entre Waterman et Jimmy, étrange dans leur relation, fleurant l’inceste, avec Mistassini.

L’auteur laisse croire par petites touches que Waterman est, en quelque sorte, son alter ego. Je découvrirai par la suite qu’il est aussi un personnage récurrent et multiple.


La traduction est une histoire d’amour
Jacques Poulin
2006 — 131 pages
Roman

Décidément, Poulin se spécialise dans les relations amoureuses singulières, cette fois entre Waterman (pas nécessairement le même malgré plusieurs traits communs) et Marine, la jeune traductrice qui s’est attaquée à la traduction de son grand succès (au titre jamais évoqué mais qui a tout du Volkswagen Blues de l’auteur).

Réunis par la passion des mots, ces deux êtres solitaires et un brin sauvages, qui se vouent une tendresse évidente, se préoccuperont du sort d’un chaton noir, d’une vieille dame et d’une adolescente qui porte de curieuses marques aux poignets. Ils en viendront à s’engager dans un acte d’amour tout à fait surprenant.

Lu à la suite de Les yeux bleus de Mistassini, j’y ai retrouvé cette sensibilité et cette tendresse camouflées sous des abords bourrus. Car, si ses personnages sont un peu farouches et égocentriques, on les dirait toujours à la recherche de l’occasion d’exprimer leur humanité. Heureusement, Poulin excelle à leur en fournir.

Par ces lectures en enfilade, je faisais connaissance avec la plume de Jacques Poulin. J’en suis devenu immédiatement jaloux. J’envie son apparente simplicité, sa rigoureuse précision et son subtil, mais efficace, pouvoir d’évocation... son travail d’orfèvre quoi!

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