lundi 7 février 2011

Un bouquin solide, mais…

La porte des enfers
Laurent Gaudé
Éditeur : Actes Sud/Leméac
2008 – 227 pages
Roman

Dès les premières lignes, j’ai reconnu cette plume, cette écriture si caractéristique qui m’avait plu dans Le soleil des Scorta. Simple, presque trop, un brin sèche, haletante, économe de mots, mais généreuse d’images avec son rythme particulier de ralentis et d’accélérations. Mais là s’arrêtent les comparaisons. Autant le premier incarnait la terre brûlée, le soleil qui chauffe à blanc les paysages et les caractères, autant La porte des enfers est un roman sombre et humide même s’il se déroule à Naples, dans ses bas-fonds cependant et plus creux encore.

Un livre étrange, très descriptif pendant un long moment, une balle perdue, le décès d’un fils, la fin d’un amour, un désarroi tragique, un départ vers l’oubli, une rencontre providentielle. Puis, à la page 124, l’action bascule vers un monde fantastique, celui de la porosité entre le domaine des vivants et celui des morts. On comprend alors que le père descendra au royaume des morts libérer ce fils qui s’y trouve, par sa faute croit-il. Il y entraînera, du même coup, mon plaisir et une partie de mon intérêt.

L’histoire s’enfonce dès lors dans le grotesque mystico-ésotérique et s’enlise dans un charabia sur l’existence d’ouvertures pour accéder aux enfers : « on peut les franchir quand on porte suffisamment de mort en nous… en disparaissant les morts emportent un peu de nous-mêmes… chaque deuil nous tue… les mondes des morts et des vivants se chevauchent… il existe des ponts… nous avons simplement désappris à les sentir… ». Ainsi jusqu’à la page 160, où le tout se meurt dans une cacophonie d’invraisemblances burlesques .

Dommage que les clichés et les conventions du fantastique me déplaisent à ce point, parce qu’il s’agit d’un bouquin solide. Un roman sur le refus du pardon et son corollaire, le désir de vengeance, pour oublier, pour reconquérir l’amour, pour l’honneur, pour expier. La trame dramatique est forte, la plume vivante et évocatrice, les personnages bien dessinés, leur psyché facilement palpable. Sa structure narrative complexe, constituée de nombreux allers-retours temporels, utiles tant à la forme qu’au fond, réclame toutefois une lecture attentive.

Il nous donne à lire quelques scènes particulièrement troublantes : la mère qui vient pour la première fois sur la tombe de son fils, son attente que Dieu lui présente des excuses, ce père qui envisage le pire comme moyen de retrouver sa femme, les pensées d’un homme le doigt sur une gâchette. Et surtout ce parcours cathartique de la mère qui s’éloigne de sa douleur par étapes en chemin vers sa jeunesse : « À la gare de Naples, elle abandonne son enfant, à celle de Caserte elle oublia Mattéo son mari, à Beneveto ses souvenirs, sa vie d’épouse et de mère, à Feggia, de retour au pays de son enfance, elle reprenait son nom de jeune fille comme un objet laissé derrière vingt ans plus tôt. »

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