samedi 29 janvier 2011

Roth : une marche funèbre ?

Exit le fantôme
Philip Roth
Éditions Gallimard
2009 – 327 pages
Roman

Pour subir une chirurgie bénigne, Zuckerman retourne à New-York, quittée une décennie auparavant pour aller vivre en ermite dans la campagne sauvage. C’est un retour sur la scène de ses exploits littéraires, intellectuels et d’homme à femmes. Un retour fatal pour cet homme de plus de 70 ans; un dernier tour de piste où il découvrira tristement celui qu’il est devenu; une escapade où il connaîtra « ...l’amertume désarmée du vieil homme au supplice et mourant d’envie d’être à nouveau intact. »

Dans ce livre, dont le titre est tiré d'une didascalie de Shakespeare en marge d’une scène de Hamlet, Zuckerman fera trois rencontres révélatrices qui l’amèneront à un brutal constat. Il sera séduit, plus qu’il ne le croyait encore possible, par une jeune femme; ému par la rencontre de la vieillissante maîtresse et muse de feu Lonoff, son mentor littéraire de jeunesse; défié par un jeune biographe qui veut révéler un secret désatreux pour la mémoire de ce même Lonoff. Le tout dans le contexte de la réélection de G.W. Bush et du désarroi dans lequel elle a plongé les démocrates new-yorkais.

Écrit après La bête qui meurt (portrait de la déchéance du corps à travers l’exubérance sexuelle et le désir de vivre) et Un homme (tableau de la vieillesse dans un long plan-séquence à l'issue inévitable) Exit le fantôme conclut une véritable marche funèbre. Celle de l’homme dont les forces physiques l’abadonnent, celle de l’écrivain dont la mémoire décline, celle de l’intellectuel dont la lucidité commence à le fuir. Roth donne à plein dans les tourments que l'on imagine propres à son âge : proximité de la mort, décrépitude physique et mentale, chute de la force vitale, existence du désir dissocié de la fonction érectile. Mais ici, il en profite pour également aborder directement le sens de la littérature « La littérature est dans l’humanité… » et sa dialectique fondamentale, le retrait ou la présence au monde comme position la plus favorable de l’écrivain.  On le sent aussi très préoccupé de sa propre postérité d’écrivain, des visées et du rôle qu’y joueront d’éventuels biographes, craignant qu’un jeune loup arriviste se bâtisse une image au détriment de la sienne et accrédite la thèse de Nietzsche à l’effet que l’art finit tué par le ressentiment.

« Elle exerçait une puissante force d’attraction sur moi, une force 
gravitationnelle irrésistible sur le fantôme de mon désir. 
Cette femme était en moi avant même d’être apparue. »

J’aime beaucoup Roth, ses thèmes récurrents, la rythmique de ses mots, son style très maîtrisé, sa lucidité souvent brutale et la fulgurance occasionnelle du propos, mais ses derniers livres ne sont guère réjouissants et plutôt inconfortables à lire pour celui qui se dirige vers cet âge dont il trace un portrait si triste et terrible. En outre dans celui-ci, j’ai franchement détesté le (paresseux) procédé qu’il a utilisé pour nous amener dans l'esprit et l’univers fantasmatique de Zuckerman, celui du dialogue théâtral où, dans des mises en scène oniriques, il se voit séduire (encore) la belle jeune femme. Cela donne lieu à mon avis à des ruptures de tons pas très heureuses.

Finalement, j’ai apprécié cette lecture, mais ça m’amuse de constater que le coeur du sujet de ces 327 pages tient aisément dans les mots de la chanson que chantait Reggiani :

« Moi qui ai vécu sans scrupules.
Je devrais mourir sans remords.
J’ai fait mon plein de crépuscules.
Je ne devrais pas crier : "Encore!".
 Je rends mon âme la tête basse.
La mort me tire par les cheveux...
Vivre, vivre, c’est ma dernière volonté. »

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