dimanche 12 septembre 2010

« J’avais perdu l’usage des larmes, j’étais vaincu. »

Matin de guerre
Marcel Saucier
Éditions Les 400 coups
2005 – 95 pages et 1 CD
Recueil poétique et photographique

« Alléluia ! Tabarnak ! »

Je n’aime pas les poètes. Surtout leur manie de m’entraîner dans l’inconnu de leur langue subtile, de leur écriture déstructurée et de leur vision allégorique du monde. Je n’aime pas la poésie. Surtout son exigence d’entrer dans un univers étrange où je perds mes repères, mes mots et mes sens. Mais, quand, dans un ouvrage poétique, on est touché même par une note de bas de page, la rencontre est importante, on le sait immédiatement.

Marcel Saucier est un Abitibien pur jus, il en a la truculence, la franchise outrageante, l’art de la dérision et les pieds solidement ancrés à sa terre. À la fois inventeur, poète, prospecteur, photographe, écologiste et travailleur forestier, il a la plume et l’œil d’un personnage haut en couleur. Ne se qualifie-t-il pas lui-même de « palmipède au vertical destin » ?
« Dieu nous a quittés en nous laissant les péchés 
Merci mon Dieu, c’étaient tes deux meilleures idées »

Ses poèmes sont atypiques, multiformes : des phrases lancées çà et là, rassemblées formellement ou solitaires pour n’en peser que plus lourd. Des aphorismes, des fragments, des réflexions vitales, Saucier utilise la brièveté au service du sens et de la vérité. Ses photos sont superbes. Sans fard, elles révèlent la nature abitibienne, belle de sa lumière et de son austérité.

Autant le dire, la poésie de Matin de guerre m’a bouleversé. J’ai appréhendé ses mots et ses images plutôt que chercher à les comprendre. D’abord par l’épiderme, puis par le cœur qui s’est ouvert tout grand, de lui-même, presque à mon esprit défendant. Un trop rare moment de lecture, j’y ai reconnu la poésie de l’Abitibi, mon coin de pays. Quitté il y a plus de dix ans, je le ressens encore. Je suis fait de sa terre et de son ciel, de sa beauté et de sa laideur, de ses ravissements et de ses colères, de ses désespoirs comme de son perpétuel espoir. L’Abitibi est pour moi cet homme qui, malgré coups et blessures, tient toujours debout, fièrement, le cœur gros comme ça. Matin de guerre en témoigne formidablement.
« Ma queue comme une prière, j’ai souvenir de chair »

En me plongeant dans cette oeuvre, Richard Desjardins s’est installé en narrateur dans mon esprit, il en est le préfacier après tout. In petto donc, je l’ai écouté lire, réciter, déclamer cette prose pas très éloignée de son univers. Ce n’est qu’à la dernière page que j’ai découvert, sous rabat, un CD où le même Desjardins répétait platement l’exercice virtuel auquel mon esprit venait de le soumettre.

En réalité, je ne déteste pas les poètes. J’envie secrètement leur talent à créer des univers particuliers, à jongler avec les mots et en tirer des sens cryptiques; bref, à dire une langue constamment renouvelée. Je me désole de ne pas les fréquenter davantage.

Je ne déteste pas plus la poésie. Je déplore plutôt qu’un écran subsiste entre elle et moi, comme si je ne disposais pas du code pour y accéder. Mais, il y a de l’espoir, car cet écran fut un mur.

« Le papier à cul enroulé à l’envers
La journée commençait compliquée »

En passant, le tri des citations a été un dur combat, je vous en aurais bien mis une pleine page.

1 commentaire:

  1. J. J'aime te lire, a travers ton écriture.....je découvre une belle sensibilité!

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